dimanche 4 avril 2010

L'augmentation


On se souvient de l'hilarante pièce de théatre de Georges Perec, "L'augmentation", toujours régulièrement mise en scène et jouée à Paris.

Fabrice Neaud
, dont on attend depuis 8 ans la suite du journal, republie ce printemps une édition augmentée du tome 3 de son journal. en afficionado, je l'ai acheté, et posé à côté de l'édition initiale de 1999, (re)lue entièrement, lu en détail les 50 pages qui constituent l'augmentation, avec tout à la fois le plaisir augmenté(?) de se replonger dans l'oeuvre de Fabrice Neaud, et l'angoisse de la redescente dans l'histoire la plus noire: celle de sa vaine quête d'amour, défaite avant même d'avoir commencé, de son exclusion, de sa malédiction sociale.

Neaud est maintenant un auteur reconnu, encensé par la critique et par l'université, et il n'a rien produit de sérieux depuis près de 10 ans. Cette augmentation signe t'elle son destin, celui de ne pouvoir produire oeuvre artistique que de son propre malheur, de son auto fiction en paria victime, de son enfermement dans la deréliction?

Un auteur dont il partage nombre des thèses, Michel Houellebecq, a de même produit son meilleur roman "extension du domaine de la lutte" quand il était (relativement) pauvre et inconnu, et quelques daubes depuis sa richesse irlandaise... Au moins Fabrice nous épargne t'il les daubes...

PS: profitant du week-end pascal pour rechercher sur le web les traces de l'oeuvre de Fabrice Neaud, et grâce à l'excellent site que lui consacre Sebastien Soseille, je découvre le blog que Neaud a consacré à sa dernière -et cruelle- aventure, et son écho judiciaire dans le monde réel: comme Pierre Molinier, comme Orlan, comme Sophie Calle, Neaud est il condamné à vivre une vie de malheur pour en faire une oeuvre flamboyante? La voix off d'"Un Homme qui dort" (Perec/Queysanne) me revient en mémoire, lorsqu'à la fin de sa plongée dans la dépression, le héros, un peu dépité somme toute d'être sorti de l'enfer, constate qu'il n'est pas sisyphe...

mardi 10 mars 2009

Le plus grand collectionneur de comics du monde

J'ai reçu ce jour le "Wimbledon Green", de Seth, un joli petit volume toilé incrusté d'or (le noir de l'illustration ci-contre est doré sur l'original, comme dans l'édition canadienne originale) aux coins arrondis, paru en France au Seuil en 2006. La bibliographie de Guelph Seth en France est un peu foutraque (on attend depuis 2003 la suite du commis voyageur), aussi cet album complet quasi oubapien, sorte de "la vie mode d'emploi" des collectionneurs de BD est une aubaine. Dans une préface magnifique, Seth décrit à la fois son projet (raconter une histoire plus longue par le biais d'histoires courtes sans rapport entre elles, "la somme des parties est alors supérieure au tout"), le climat de celui-ci (la période douloureuse de la fin de vie de sa mère), et révèle la fin ultime de ce divertissement, au sens pascalien du terme.

A quand la suite du commis voyageur?

lundi 2 mars 2009

EXIT: les limites d'un scénario bien construit

J'ai acheté ce week-end l'intégrale de Exit, réédition en un volume unique de petit format (mais en couleur!) des 3 volumes parus de 2000 à 2002 chez Albin Michel. C'est une aubaine pour un impatient comme moi, qui ai horreur des dernières cases ouvrant sur un mystère qu'il faudra attendre des mois (voire des années, comme pour "les 3 formules du professeur Sato") pour voir éclairci. Donc une histoire en 3 volumes de Bernard Werber qui se lit d'une traite, le dessin du tome 3 (Eric Puech) faisant regretter celui d'Alain Mounier, plus clair, plus réaliste et expressif.
D'ou vient que malgré un scénario bien ficelé, une histoire intéressante, un suspens maintenu jusqu'à la fin (notre héroïne survivra t'elle?) je n'ai pas été conquis, et somme toute tenté de remettre ce volume en vente sur ebay? Sans doute à cause justement de l'adresse du scénario, de son efficacité qui débouche sur une absence d'ambiguïté, d'empathie, d'émotion. La belle Amandine, clône abatardi de Lara Croft, a le sein plantureux et la cuisse musclée, mais elle n'a aucun charme! Quand elle embrasse, c'est à pleine bouche, façon charcuterie. Quand elle se biture, on en a mal au crane pour elle, et quand elle pleure, c'est comme un veau.
Ce récit, manifestement écrit pour en faire un film, échoue de par une actrice principale... médiocre. La morale de cette histoire? Il ne suffit pas d'un bon récit, il faut aussi aimer ses personnages, pour leur donner, au delà du cliché, l'épaisseur minimale qui fait le plaisir du lecteur.








dimanche 8 février 2009

Jacques MARTIN: Carnets de guerre


Jacques Martin vient de publier "Carnets de guerre" chez Casterman, publication des dessins qu'il a réalisé lorsqu'il était déporté du travail, de 1943 à 1945. Mon expérience du STO est différente de la sienne (dessinateur industriel confirmé, il travaillait aux usines Messerschmidt près d'Augsburg, alors que j'ai passé l'essentiel de mon temps dans une ferme en Silésie, et je fuyais à pied avec un groupe de camarades l'avance de l'armée russe lorsqu'il fêtait l'entrée des troupes américaines à Kempten), mais ses dessins -et les intelligents commentaires de Julie Maeck et Patrick Weber- me ramènent 60 ans en arrière. Comme l'indique très bien Patrick Weber, l'histoire du STO est peu connue. L'histoire des prisonniers, de ceux qui se sont laissés prendre, toujours soupçonnés de lâcheté, de compromission, fait moins recette que celle des héros de la résistance, des évadés, de ceux qui ont su prendre leur histoire en main. La Fédération Nationale des Déportés du Travail s'est battue sans succès (face, en particulier à la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) pour que les victimes du STO aient le titre de "déportés du travail" alors que la loi de 1951 leur a donné le titre officiel de " personne contrainte au travail en pays ennemi " (voir par exemple le JO du sénat du 11/5/1989) , et il a fallu attendre 2001 pour qu'ait lieu à Caen un colloque international sur le sujet. A l'automne de sa vie, Jacques Martin nous restitue calmement une période heureusement révolue, celle de d'une Europe sous le joug nazi, dont la jeunesse était soit chair à canon (sur le front de l'Est, y compris pour nos compatriotes alsaciens), soit main d'oeuvre à bon marché de l'Organisation Todt, ou de l'industrie de guerre allemande, dont les responsables n'ont, contrairement à leurs salariés forcés, le plus souvent jamais subi d'opprobre...

Une histoire personnelle de la bande dessinée

Mon modèle, pour ce blog, est le remarquable ouvrage de François George, "Histoire personnelle de la France"(Seuil, 1984), dont l'aptitude à mêler histoire personnelle et histoire sociale, intime et collectif, représentations individuelles et mythes nationaux m'a frappé, il y a plus de vingt ans.

Pour moi, le plaisir de la bande dessinée, c'est celà: la condensation, dans une suite ordonnée, d'images reproduites (formant, le plus souvent, une histoire palpitante), dont le sens partagé nous donne, au bref instant (renouvelable ad libitum) de sa vision, ce sentiment de communion effusive qui parfume d'éternité glorieuse notre pauvre vie, et en obscurcit l'issue funeste.

On trouvera dans ce blog l'écho de mes lectures et relectures, et la mise en scène des images-modèles inventées par Christian Boltanski en 1975, dont l'application au champ de la bande dessinée est immédiate.